Portrait de Solène Maillard, psychologue à l’IME Saute-Mouton
Psychologue à l’IME Saute-Mouton depuis 3 ans et diplômée en 2020 du Master de Psychologie du Développement de l’enfant et de l’adolescent, Solène Maillard est spécialisée dans l’autisme et les troubles neuro-développementaux. Elle est experte en ABA (Applied Behavior Analysis), qui consiste en une ’analyse appliquée du comportement. C’est une science qui s’intéresse à la modification du comportement, et plus particulièrement, sur la manière d’apprendre de nouveaux comportements, d’en atténuer certains et d’en modifier d’autres. Elle est également spécialisée sur l’approche TEACCH (Treatment and Education of Autistic and related Communication Handicapped Children). Cette approche permet une structuration du temps, de l’espace et des activités des jeunes ou adultes avec TSA.
1 – Quel est votre quotidien avec les jeunes, les familles et comment intervenez-vous auprès des équipes ?
« Concernant les jeunes, je ne fais pas d’entretien individuel. Cela ne fait pas partie des modalités recommandées par la HAS pour le travail d’un psychologue auprès des personnes TSA, notamment parce qu’elles rencontrent des difficultés de communication sociale. Je réalise des évaluations standardisées à partir des outils mentionnés dans les Recommandations de Bonnes Pratiques Professionnelles (RBPP) et ce de manière annuelle. Après, j’interviens principalement sur les groupes d’accueil des jeunes, auprès des équipes en ce qui concerne la technicité. En effet, je vais les superviser sur la mise en place des approches recommandées (approche ABA, TEACCH, PECS…), dans l’accompagnement des jeunes au quotidien. En tant que psychologues, nous sommes les garantes du projet d’accompagnement des jeunes, et des objectifs à travailler. Ces objectifs portent sur différents domaines tels que la communication, les interactions sociales, l’autonomie, les centres d’intérêt, le comportement. Ils sont déterminés par les évaluations que nous et les équipes faisons auprès des jeunes et qui portent sur tous ces domaines.
Notre objectif est d’individualiser au maximum les apprentissages pour chacun des jeunes selon leur fonctionnement, leurs besoins, leur force et les faiblesses.
Concernant notre travail avec les familles, nous les rencontrons dans le cadre de la mise en place du projet d’accompagnement personnalisé et pour les restitutions d’évaluation. Nous les rencontrons en guidance parentale également, lorsqu’ils nous font part de besoins spécifiques concernant des apprentissages au domicile. La guidance parentale a pour objectif de généraliser les compétences des jeunes dans tous leurs lieux de vie. Nous apprenons aux parents à travailler d’une certaine manière les objectifs de leurs enfants au domicile, tout en soutenant leurs compétences parentales. L’objectif est qu’ils soient acteurs dans le développement de leur enfant et qu’il n’y ait pas d’écart entre le comportement à l’IME et à la maison.
Enfin, nous intervenons également sur le temps du repas psycho-éducatif. Nous travaillons avec des jeunes sur les problématiques autour du repas, notamment la sélectivité alimentaire, l’utilisation des couverts ou encore le rythme d’alimentation. »
2 – Comment les approches comportementalistes se mettent en œuvre dans la relation, les échanges et dans la prise en compte de l’environnement ?
« L’idée est de développer des compétences en fonction du niveau de fonctionnement du jeune. On va utiliser des principes issus de l’ABA qui vont venir nous aider à modifier les comportements, à en faire émerger et / ou diminuer. Le premier principe est celui du renforcement positif ou négatif qui vise à l’augmentation d’un comportement. Avec le renforcement positif, on ajoute un stimulus, élément agréable pour la personne, dans son environnement pour faire augmenter un comportement. Par exemple : On veut apprendre à un jeune à rester assis à table. On le récompense dès qu’il reste assis quelques minutes à table. Cela va permettre qu’il reste assis plus longtemps à table. Avec le renforcement négatif, on enlève un stimulus désagréable pour la personne, pour améliorer un comportement. Par exemple : un adolescent ne fait jamais son lit. Sa mère le gronde régulièrement car elle souhaite qu’il fasse son lit tous les jours. Dès qu’il fait son lit, sa mère ne lui dit plus rien. Il commence donc à faire son lit tous les matins.
Dans notre travail auprès de nos jeunes TSA, nous favorisons en général l’utilisation de renforçateurs primaires, et moins les renforçateurs sociaux. En effet, la plupart des jeunes avec TSA ont peu d’attrait pour les renforçateurs sociaux (félicitations, encouragements). Ils ne les perçoivent pas comme quelque chose de gratifiant. Cela peut le devenir plus tard, lorsqu’ils ont été liés à des renforçateurs primaires. Ce sont des items naturellement appréciés : la nourriture sucrée, prendre le soleil… »
3 – Depuis plusieurs décennies, les approches comportementalistes ont fait leurs preuves pour permettre aux jeunes avec TSA de développer leurs capacités, parfois au-delà de certaines limites qu’on aurait imaginées. Or, les enfants accueillis à l’IME souffrent aussi de déficience intellectuelle et/ou de troubles importants du comportement. Observez-vous des évolutions favorables malgré cela ?
« Il est vrai qu’une grande partie des jeunes accueillis sur l’IME présentent une déficience intellectuelle et / ou des troubles du comportement d’intensité modérée à sévère. Nous devons donc adapter notre accompagnement en fonction. Par exemple, pour gérer les troubles du comportement des jeunes, nous sommes formés à l’approche PCM (Professionnal Crisis Management). À l’IME, une grande partie des professionnels sont formés à cette approche. Mon travail est de superviser la mise en place de cette approche sur le terrain. PCM est un système complet et intégré conçu pour gérer les situations de crise, en 4 étapes : D’abord, il y a les stratégies de prévention : ici, le jeune est stable avec des comportements adaptés, on lui apprend donc de nouveaux comportements. Ensuite quand il commence à montrer des comportements moins adaptés mais de manière discontinue, on met en place une stratégie de désescalade, qui vise à l’amener de nouveau à un fonctionnement stable. Mais si ce n’est pas suffisant et que le jeune est en crise, c’est-à-dire qu’il présente des comportements d’automutilation et/ou des comportements hétéro agressifs ou préjudiciables pour l’environnement de manière continue et de façon intense, alors on passe par des stratégies physiques. On apprend au jeune à se relaxer grâce à des procédures de contention physique où on renforce les petites améliorations du comportement, jusqu’à ce que le jeune soit totalement calme. Puis vient la stratégie de post crise : on ramène le jeune sur des activités qu’il maîtrise pour renforcer les comportements adaptés, puis on reprend les taches qu’il faisait avant la crise.
Cette approche permet à tous les professionnels d’adopter des stratégies normalisées et cohérentes, qui amènent davantage de résultats positifs sur les comportements des jeunes. En effet, à force de répétitions, le jeune comprend le comportement attendu et arrive à anticiper ce qui va se passer, et donc, à se calmer, dans la majeure partie des cas. Cette approche est importante et en particulier la partie axée sur la prévention car le but est d’éviter la crise. Il faut donc leur apprendre de nouveaux comportements. Par exemple, nous accueillons une jeune qui a besoin d’attention des adultes. Elle est verbale mais son moyen pour en obtenir est de nous agripper le bras et de nous pincer. Elle continue de communiquer ainsi car à chaque fois, elle obtient ce qu’elle veut. Nous devons donc lui apprendre un comportement alternatif à celui d’agripper, ayant la même fonction de recherche attentionnelle. Par exemple, nous allons lui apprendre à interpeller verbalement l’adulte, ou à faire une demande adressée.
En lien avec l’approche ABA, nous sommes tenus d’objectiver notre travail et l’évolution du jeune. Pour objectiver les progressions, nous devons passer par des prises de cotations sur les objectifs et les protocoles d’interventions comportementaux (PIC) mis en place. En fonction des données que l’on récolte avec les cotations, on peut affiner et modifier les objectifs et protocoles. »
Quelles évolutions les plus significatives de jeunes gardez-vous en mémoire ?
« Auprès de ce public, les apprentissages sont souvent très lents, et on doit passer par du travail intensif et beaucoup de répétition pour voir des progressions. C’est aussi pour cela qu’il est important de prendre des données sur les progressions du jeune, car souvent les progrès ne se perçoivent pas « à l’œil nu ». Je peux donner un exemple de progrès observés auprès d’une jeune accompagnée : elle ne supportait pas d’attendre une seconde lorsqu’elle faisait une demande. Elle présentait des comportements auto-agressifs (elle se tapait le visage) et hétéro-agressifs (donnait des coups de pieds). À force de travailler sur l’attente, elle arrive à attendre 1 à 2 minutes calmement. Cela vous parait peu, mais en réalité c’est énorme !
Cette jeune a également évolué sur ses centres d’intérêt. On sait que les personnes avec TSA ont des difficultés pour développer des centres d’intérêts variés. Les seuls centres d’intérêts de cette jeune étaient le flapping (agitation des mains et bras) et gratter la terre. L’objectif était qu’elle arrive à s’occuper toute seule. À force de lui proposer des activités et de les associer à des renforçateurs, elle arrive maintenant à s’occuper seule pendant 15 minutes. C’est un progrès important pour sa qualité de vie. Il est important d’apprendre aux jeunes accompagnés à s’occuper seul et à développer des compétences. C’est en lien direct avec la question de l’autodétermination. C’est un vrai sujet, puisqu’un grand nombre des jeunes que nous accompagnons seront amenés à vivre en institution toute leur vie. Toute leur vie est rythmée par ce qu’on leur propose. Le fait de leur laisser le choix, de l’ordre des activités, du contenu, des lieux où ils vont, de ce qu’ils mangent, de les laisser choisir leurs vêtements, etc. Plus on leur apprend de compétences, plus on leur laisse le choix de les utiliser ou non. Mais par essence, le fait de ne rien leur apprendre, fait qu’on ne leur laisse pas le choix, on les contraint par nature. Effectivement, ils ne choisissent pas d’apprendre, et souvent leur apprendre des compétences est long et difficile. Cependant, apprendre, c’est avoir les clés pour prendre des décisions, et être acteur de sa vie. Pour moi, c’est ça, travailler l’autodétermination, auprès du public que nous accompagnons. »